La phrase la plus longue.
Dans le roman que je suis en train d'écrire, un enfant a écrit une phrase de 877 mots dans le but de dépasser le nombre de mots de la phrase la plus longue de Marcel Proust. La voici.
Cet homme, cette ombre tapageuse qui remuait des
casseroles et des portes d'armoire, ce fantôme de passage qui démarrait toutes
les machines bruyantes du logis : le lave-vaisselle, la laveuse, la sécheuse,
le four à micro-ondes, la télévision, la radio, le homepod, le téléphone; cet
homme qui se faisait appeler père, pour lequel je n'avais aucune affection pour
la bonne raison qu'il n'était pas ce qu'il prétendait être, m'apparaissait
comme une fréquentation forcée à la manière de la Voie lactée contrainte de
supporter le voisinage de l'énorme galaxie Andromède, qui l’entraîne dans une
valse de quatre milliards d’années au terme de laquelle elle se fera engloutir ;
j'espérais que mon sort diffère de celui de notre galaxie malgré le bien-fondé
de mon analogie – d'ailleurs, il faut prendre en considération que la
coalescence des deux galaxies, bien que spectaculaire du fait qu’elle
provoquera une flambée stellaire en augmentant radicalement l'intensité du champ lumineux du
ciel la nuit, ne provoquera pas de collisions d'étoiles en raison de
l'immensité de la distance les séparant ;
grâce à mes histoires et à mes analogies, je m'étais donc mis dans le bon état
d'esprit pour supporter la présence brumeuse de cet homme, qui voulait que je
lui dise merci quand il m'obligeait à m’asseoir près de lui et m’obligeait à
l’écouter mastiquer sa viande, manger bruyamment sa soupe et se moucher le nez,
me forçant également à avaler les mets qu'il déposait anarchiquement dans mon
assiette, provoquant une rébellion répréhensible dans mon estomac – je suivais
avec beaucoup d'attention la chronique des péripéties de la guerre dans mes
organes, qui se manifestait sous la forme de borborygmes, de brûlures, de
crampes, de contractions ou de gaz, qui semblaient constituer les paramètres de
l'analyse de la situation dite familiale de cet homme, qui voulait que j'ouvre
la bouche pour japper, hurler, grogner, chanter ma spécificité ; je n'avais
aucune colère à aboyer, je n'avais qu'à supporter cet homme qui faisait des
efforts pour m'empêcher de m'adosser contre la porte de ma mère, résumant son
existence à cette fonction, en opposition encore une fois avec ses prétentions;
il voulait que je sois reconnaissant de ce qu'il appelait l'amour d'un père et
qu'il m'imposait avec toute la force de gravité de son corps massif en
comparaison et que je lui retourne son amour en suivant le principe newtonien
d'action et de réaction, mais mon petit corps ne faisait pas le poids devant la
masse de ses prétentions; à l'entendre je lui devais reconnaissance pour la
puissance de son amour, il n'avait apparemment pas saisi le principe selon
lequel tout amour est l'expression d'un sentiment narcissique et que c'est
justement pour cette raison que ce sont les actions qui comptent ; cet homme
qui voulait que je lui tinsse la main quand il m'obligeait à l'accompagner à
l'extérieur en tenant dans mes mains un ballon dont je ne saurai jamais quoi
faire de ma vie ne comprenait pas que mon mutisme – je n'avais pas prononcé un
seul mot de mémoire d'homme – était le juste signe d'une belle disposition à ce
sentiment si valorisé par la littérature et cet homme lui-même en l'occurrence,
il ne comprenait pas non plus que mon silence était une célébration
introvertie, une messe intérieure, un recueillement entre moi et moi et ma
mère, et que la porte que j'affectionnais au point de m'y installer était la
parfaite expression de la moisson qui fleurissait dans mon organe central ; cet
homme, qui me parlait dans un langage de primate comme à un bébé de cette
espèce, voulait que je l'écoutasse attentivement
alors que je devinais le moindre mot de ses paroles et qu'il avait autant
d'imagination qu'une anémone de mer et que je ressentisse pour lui de la
gratitude, la gratitude de son éducation alors que j'aurais pu lui apprendre
l'univers en commençant par le soleil et en finissant par les quasars, la
gratitude de sa présence alors qu'il ne s'était jamais appuyé avec moi contre
la porte de notre mère disparue, qu'il n'avait jamais voulu connaître le titre
du livre qui m'accompagnait dans tous les instants de ma vie ; il nourrissait
le grain de sa voix de la gravité du
rôle qu'il s'octroyait en gravitant sur son orbite, de la responsabilité de me
voir heureux qu'il s'imposait, il musclait son obstination à vouloir jouer la
fonction d'une bouée dans la mer de ma vie, il survoltait ses beaux sentiments
à mon égard en plongeant son regard dans le miroir de ses prétentions, lequel miroir
aurait pu se révéler le bassin de sa noyade, mais non, il tenait bien la
position, il avait l'allure du bon père devant la voisine ou l'inconnue du
super marché, il avait la politesse des hommes élégants et la loyauté des
hommes intègres, il savait se tenir dans le courant de la vie publique: au
marché, il savait être poli, à la banque, respectueux,
dans une réunion de parents, intéressant; aux yeux du facteur, de la voisine de
palier, de ses deux derniers amis de l'université et de son partenaire de bridge,
il était un homme respectueux, toujours affable,
image idéale du père de famille dont les bras étaient encombrés par la présence
d’un enfant pris au centre d’un cercle mal défini.